Qu'est-ce qu'agir par devoir ?
Le mot "devoir" vient du latin debet (verbe debere) : "il doit". Nous disons ainsi d’un homme qu’il est un homme de devoir. Nous entendons par là que, plutôt que de suivre ses penchants ou ses inclinations, il a préféré accomplir son devoir. Plutôt que de suivre l'être aimé, elle – ou il – a préféré rester, par exemple pour aider un parent malade, ou soutenir sa famille en élevant ses frères et sœurs. La simple évocation de cet exemple permet de cerner la complexité de la notion de devoir.
Questions :
1. Que nous apprend cette étymologie, pour la question qui nous intéresse ?
2. Analysez ce que nous appelons les "devoirs", donnés par les professeurs aux écoliers : quel rapprochement pouvez-vous faire avec le sens premier du terme ?
3. Élargissons à partir de cet exemple : que nous donne-t-il à penser, quant à la source du devoir moral ?
Qu'est-ce qu'un énoncé prescriptif ?
Le devoir exprime un ordre. Il prend la forme d'un énoncé prescriptif, car il commande d’adopter – il prescrit – une conduite et, en cela, il constitue un impératif. Le devoir prend ainsi la forme d’un "tu dois", par exemple "tu dois rendre le dépôt", c’est-à-dire la somme d’argent qu’on t'a remise.
Questions :
1. Analysez la terminologie mobilisée autour des actes de soin médical : le médecin rédige, sur une ordonnance, sa prescription médicale.
2. Le patient est-il pour autant contraint de suivre cette prescription ?
3. Cette prescription constitue-t-elle un impératif absolu, qui oblige, ou bien un impératif hypothétique (selon la forme "tu dois faire ceci, si tu veux cela") ?
Quel est le présupposé de la notion de devoir ?
La notion de devoir présuppose ainsi la distinction de l’idéal et du réel, ou plus exactement de l’être et du devoir-être. La première catégorie désigne un fait, un état de choses, la seconde renvoie au contraire non pas à ce qui est, mais à ce qui doit être, donc à une norme ou à un idéal moral. Le mensonge est de l’ordre du fait, les hommes ne cessent de mentir ; pourtant, ils doivent la vérité aux autres.
Questions :
1. Analysez à cet égard le commandement des lois : en quoi la loi dit-elle ce qui doit être ?
2. Si nous avons des devoirs en matière de morale, qu'est-ce que cela signifie quant à ce que nous sommes effectivement ? Mobilisez pour répondre la distinction en droit / en fait.
L'animal agit-il par devoir ?
Alors que l’animal vit dans un monde de faits, un monde dominé par les inclinations sensibles, l’homme seul peut répondre à l’impératif d’un "tu dois", et se représenter ainsi une autre conduite possible, distincte des faits. Pour lui, le réel ne se réduit pas à ce qui est : à cette première dimension s’en ajoute une seconde, celle du possible, de l’idéal : ce qui n’est pas mais qui devrait être.
Questions :
1. À partir de cette distinction, induisez quelle peut être la source de ce devoir.
2. Quelle relation le devoir entretient-il avec l'instinct ?
Quelle est la réalité de nos devoirs ?
On mesure trop peu la rupture ontologique que la conscience du devoir représente. L’idée de devoir montre que pour l’homme, le réel ne se réduit pas aux faits, mais qu’il comprend en lui un faisceau de possibilités, parmi lesquelles certaines sont préférables à d'autres, car moralement meilleures : c'est-à-dire justes ou bonnes.
Seul un être conscient, pour qui le réel ne se réduit pas au fait et à ses inclinations, peut avoir l’idée de devoir. La conscience est ainsi la condition de l’idée de devoir. Sans la représentation d’une autre action possible, sans cette distance critique par rapport au fait, l’idée de devoir serait impossible. C’est parce que l’homme n’adhère pas complètement à la réalité sensible qu’il peut concevoir un autre monde possible et opposer à l’être un devoir-être, au réel un idéal. Cette idée de devoir-être est d’autant plus complexe qu’elle remet en cause l’opposition superficielle du réel et de l’idée, car les devoirs ne sont pas moins réels que les faits.
Il serait en effet abusif de considérer que le devoir est simplement subjectif : il y a une réalité objective du devoir, de ses énoncés prescriptifs qui commandent des conduites souvent ignorées. Ainsi, le devoir peut certes ne susciter aucun sentiment et être absolument ignoré, il n’en reste pas moins objectif, au sens où il est objectivement attendu.
Questions :
1. En quoi la notion de devoir moral a-t-elle pour condition la distinction du possible et du réel ?
2. Qu'est-ce qui, dans le mouvement de la conscience de soi, permet la représentation de possibilités irréductibles aux seuls faits réels ?
3. Quelles difficultés, par voie de conséquence, la possibilité que nous avons de préférer le possible au réel pose-t-elle ?
4. En quoi cependant la distinction du possible et du réel ne peut-elle pas se confondre, en ce qui concerne le devoir moral, avec la distinction de l'idée et du réel ?
5. En quoi la réalité objective de nos devoirs consiste-t-elle ? Quelle difficulté philosophique soulève-t-elle dès lors ?
Peut-on distinguer le devoir et l'obligation ?
En ce sens, il est possible de distinguer l’obligation (subjective) du devoir (objectif).
Certes, l’obligation vient du latin obligatio qui signifie précisément devoir, mais aussi lier (ligare). L'obligation nous lie. L’étymologie semble ainsi confondre en partie ce qu’il nous faut cependant distinguer.
Le plus souvent, la conscience d’un devoir conduit à un sentiment d’obligation - d'être lié. Nous avons le devoir de dire la vérité, mais nous nous sentons obligé de la dire. L’obligation morale apparaît ainsi comme la dimension vécue, ou subjective, du devoir.
Toutefois, force est de constater que les devoirs ne se traduisent pas tous et toujours par un sentiment d’obligation. Certains devoirs peuvent ne conduire à aucun sentiment d’obligation. Ils sont alors sans force, sans vie, comme lettre morte.
Il semble y avoir ici une contradiction : le devoir dépend de la conscience d’un idéal et pourtant cette conscience n’est pas subjective, individuelle, mais collective et objective.
Questions :
1. Dès lors, comment rendre compte de la réalité de nos devoirs ? Sur quoi se fonde-t-elle ?
2. Comment expliquer qu’il existe un idéal commun ?
3. Quelle est l’origine de nos devoirs ? Est-elle sociale ?
Réflexion :
À partir des éléments mobilisés dans cette analyse, demandez-vous ce qui caractérise le devoir moral.
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